Franciam Charlot et Didier Goupil – Portraits croisés d’artistes guerriers

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Didier Goupil Franciam Charlot - Intramuros - Toulouse
Franciam Charlot et Didier Goupil – Portraits croisés d’artistes guerriers – INTRAMUROS, #389 Mars 2014

Franciam Charlot et Didier Goupil
Portraits croisés d’artistes guerriers

« L’abstrait est à la source du graphisme, l’écriture est à la source de l’art » affirmait Roland Barthes. L’artiste plasticien Franciam Charlot et l’écrivain Didier Goupil questionnent à leur manière la rencontre entre œuvres picturales et arts du récit. Deux artistes aux parcours atypiques, deux histoires, deux univers.

L’idée selon laquelle la peinture trouverait son origine dans l’écriture a été mainte fois mise en lumière, pointant le rapport au geste, au corps et à la main comme point de rencontre. L’œuvre d’art est ainsi très présente dans les œuvres romanesques de Didier Goupil, qui insiste sur l’aspect matériel de l’écriture : « La poésie n’est pas là pour être belle, elle est au service de la narration, elle propose une nouvelle lecture de l’œuvre ». La confrontation de leurs univers met ainsi en perspective leur travail respectif, et offre un retour essentiel aux yeux de Franciam Charlot « C’est important de se voir à travers le miroir de l’autre, de comprendre ce que l’on renvoie. J’ai un parti pris très premier degré, mais avec plusieurs grilles de lecture. C’est donc enrichissant de multiplier les entrées sur l’œuvre, ce sont toutes des décharges de sens ». Pour l’un ce sera la couleur ou la matière, pour l’autre ce sera l’objet lui-même.

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Cri vibrant de nos peurs et angoisses

Autodidacte, Franciam défie toute classification et aborde la peinture sans faux-semblant. Arrivé à Toulouse au début des années 90, l’artiste livre une approche sans concession à la mise en forme : le support, les pinceaux, la peinture, le trait, la couleur… tout est outil et anecdote à l’œuvre finale. Le trait délimite le contour, donne de l’ordre à cette substance picturale. Soudain, la ligne dévie, se brise, la forme se répand et alors le raté et le tremblement s’imposent naturellement. L’imperfection se fait composante et donne à ces figures toutes leurs forces expressives. De ses tableaux jaillissent toute l’essence humaine et malgré le chaos ambiant, une oppressante sérénité règne en maître dans toutes ses œuvres : ces personnages tour à tour pesants, élancés, hagards semblent nous fixer jusqu’au plus profond de notre âme.

Aussi fascinants que dérangeants, ils semblent nous attendre patiemment, prêts à nous emboiter le pas. On se surprend alors à les guetter du coin de l’œil, de peur que soudain, ils ne prennent vie.

La peinture de Franciam Charlot ne s’apprivoise pas, elle est là pour provoquer un malaise existentiel : sans véritable bouche, ces visages sont pourtant le cri poignant de nos peurs et angoisses. Mais contrairement à ce qu’il voudrait nous faire croire, derrière l’aspect brutal de ses figures simplifiées à l’extrême se cache une posture pensée, avec une réelle charge esthétique. « S’il cherche à éliminer l’esthétisation en utilisant des outils destroy, ses personnages sont pourtant beaux. Dans un environnement abstrait, viennent se positionner ces figures dans un geste qui va alors se raffiner, s’embourgeoiser » atteste Didier Goupil.

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Un pied de nez au temps qui passe

Aussi pudique qu’impudique, Franciam recherche le corps à corps avec le spectateur. Ses œuvres frontales et théâtralisées provoquent le regardant par une décharge émotionnelle brute : « je pense que je crée pour retrouver un plaisir d’enfance que je renouvelle sans cesse, je recherche peut-être en permanence des chocs émotionnels » confie-t-il. Sorte d’exutoire pour évacuer un trop plein d’émotion, ces figures se font témoins d’un besoin vital de transcender l’existence de l’artiste. Un moyen naturel de se protéger des névroses du quotidien : « La vie c’est du temps qui passe et de l’énergie en mouvement : quand je peins, je fais un pied de nez au temps qui passe » sourie l’intéressé. Didier Goupil voit également dans leurs arts respectifs une façon d’échapper au temps humain, « une possibilité pas tortillée du cul pour supporter le monde! ».

Né en 1963 à Paris, l’écrivain a posé ses valises dans le quartier des Minimes en 2001. Après un premier livre — “Maleterre” publié en 1995 — et son roman “Le Jour de mon retour sur terre”, inspiré du 11 septembre et de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, Didier Goupil s’est attelé à la traduction en allemand de “Femme du monde” et de “Castro est mort!”. Dans son roman “Les Tiroirs de Visconti” (1), il dresse le portrait d’un authentique collectionneur qui, pour échapper à la banalité de l’existence, s’est réfugié dans l’univers des objets et œuvres d’art. Une façon de montrer que le temps de l’objet n’est pas le même que celui de l’humain : il fait voyager et traverser des siècles, emportant avec lui des fragments de vie. Intemporelles et universelles, les œuvres de Franciam discutent elles aussi avec le passé, le présent, le futur ; chacun, avec son histoire et son vécu, s’approprie l’œuvre, comme l’explique Didier:

« Tout regard allume l’œuvre, sinon c’est la Mer Morte! La plus petite des étincelles suffit pour chauffer le travail d’après. Ici, l’homorectus prend la place du singulier : le tableau prend vie et fait sa vie »!

Et si l’on fait un déploiement en accéléré de tous les portraits de Franciam, c’est finalement un seul visage qui nous fera face : un visage qui parle à celui qui le regarde, un visage que l’on peut isoler et détailler. « Si la répétition n’empêche pas la nouveauté, il faut pourtant accepter que l’on dit toujours la même chose » explique l’artiste. Car selon lui, le travail du peintre, c’est la récurrence de la forme : la structure, la composition, l’équilibre des formes, des positions… Sans ostentation mais avec conviction, il peint de façon quasi mécanique : « Qu’importe la technique, le matériau, la peinture elle-même, l’essentiel c’est de le faire ». Véritable addiction quotidienne, sa peinture émane d’une impérieuse nécessité de dire, elle est faite dans l’urgence, dans un élan instinctif, sans sujet présupposé. Ces gestes, il les pratique dans l’intimité, un espace quasi chamanique où ses outils n’attendent que lui. Sans le savoir, sans le vouloir, ses figures prennent forme, comme le prolongement de lui-même.

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« Ce n’est pas le résultat qui compte, c’est la pratique »

Si ses tableaux ont une gueule tordue, Franciam Charlot n’est pas un écorché nourri pas cet éternel désarroi contemporain. « Si certains artistes sont en position de supplicié, Franciam le fait avec toute sa force. Sous ses vingt kilos d’armure, c’est un samouraï, un peintre guerrier » affirme Didier. Loin du cliché de l’artiste maudit, Franciam lutte contre le savoir-faire, son savoir à lui c’est le Faire. Tel un sportif, il travaille tous les jours, sans jamais s’arrêter, pour l’écrivain « c’est un artisan de l’émotion, chaque œuvre est un morceau d’humanité qu’il a taillé. » Son labeur le met ainsi à l’abri des soucis: « c’est un travail qui te remet à ta place, confie le peintre, ce n’est pas le résultat qui compte, c’est la pratique. Et si tu ne le fais pas, personne ne va le faire pour toi! ».

Si Franciam est un guerrier du quotidien, Didier est davantage un guerrier « par emballement ». Plus buissonnier, plus désinvolte, cet esthète amoureux des arts laisse le temps au temps et se laisse porter par ses inspirations. Avant que Franciam ne lui rappelle que peindre ou écrire, c’est faire sa lie : « C’est bien. Mais c’est fait » lui souffle-t-il avant d’ajouter « notre grâce c’est d’être en dehors de ce système de valeurs, sans la mémoire des choses. Rien n’existe tout n’est qu’apparence ». Cette façon de vivre, ils ne l’ont pas choisi, et s’estiment chanceux d’avoir trouvé leur purgatoire, comme l’explique Didier : « On aurait pu être des estivants, des cacous, des fainéants, des pompes à fric… mais on fait ce que l’on fait, et on ne l’a pas voulu ». Et Franciam d’ajouter : « On tente d’apporter une pierre à un édifice qu’on ne nous a pas demandé, on n’attends rien de nous. De la vie, je ne retiens que le meilleur ! Il faut juste profiter de ce pour quoi on est fait, c’est notre challenge à tous que d’arriver à trouver le moyen de transcender notre petite existence. Et c’est un vrai bordel! ». Une belle leçon d’art…et de vie!

• Franciam Charlot expose du 20 mars au 13 juin, du lundi au vendredi de 11h00 à 18h00 et le samedi de 12h00 à 17h00, à l’Espace Roguet (9, rue de Gascogne, métro Saint-Cyprien-République ou Patte d’Oie, 05 62 86 01 67), entrée libre et gratuite!

(1) “Les tiroirs de Visconti” (Éditions Naïve Livres, 224 pages, 17,00 €)

INTRAMUROS, #389 Mars 2014

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